Digitales

Installations Le festival privilégie l'expérimental et bouscule les codes.

Les pixels dans l'espace

par Marie LECHNER
QUOTIDIEN : vendredi 21 avril 2006

Loin du show-of des grand-messes d'arts électroniques, Mal au pixel égrène ses propositions dans plusieurs lieux franciliens. Plus qu'aux oeuvres finalisées, le festival s'intéresse au processus, privilégiant ateliers et séminaires pour engager le public néophyte ou connaisseur avec les artistes. A Mains d'oeuvres, il pourra se joindre au collectif Orgsmobile.org pour réfléchir à la conception du premier véhicule «open source», ou comment appliquer à un objet concret le principe collaboratif des logiciels dont le code est ouvert et modifiable. Amy Franceschini, de Future Farmers, spécialisée dans le jeu vidéo politique (They Rule, Antiwargame...), l'invitera à imaginer ce que pourrait être un jeu vidéo transposé dans l'espace urbain. Il pourra également programmer ses propres jeux et animations sur le dispositif Ping Genius Loci, une installation dans l'espace public de 430 pixels physiques aux faces colorés activés par un moteur qui réagissent au passage des visiteurs.

La volonté de sortir de l'écran pour investir l'espace physique est une constante. Ainsi du très ludique Kick Ass Kung Fu qui réveille le street fighter en chacun de nous. Le joueur est incrusté dans le jeu vidéo où il doit combattre de redoutables adversaires comme Bush ou Poutine. Coup de pied renversé, nunchaku, pelles, tous les coups sont permis, transpiration garantie. «C'est une sorte de sport digital», estime Perttu Hämäläinen, spécialisé dans le design interactif et versé dans la capoeira et le karaté, qui nous fait une époustouflante démonstration de cette nouvelle manière acrobatique de pratiquer les jeux vidéo. A l'inverse, Electroscape 004 de fabric | ch met en scène deux consoles de jeu, médium interactif par excellence, sur lesquelles le spectateur n'a aucune prise: il assiste impuissant à un babillage sans fin entre deux intelligences artificielles implantées dans les machines de jeux.

Samplings. La forme ludique est aussi celle choisie par Sven König avec son impressionnant logiciel de sampling audiovisuel piloté à la voix, Scrambled ? Hackz !, mais dans une optique résolument critique. L'artiste et sociologue s'intéresse de près à la question de la propriété intellectuelle, mais de la même manière que le P2P a popularisé auprès des jeunes l'idée de l'échange et du partage au point d'en devenir une seconde nature, d'après lui, «un logiciel vaut mieux qu'un long discours». Piochant dans une base de clips des années 80, le visiteur chante une phrase, qu'il retrouve aussitôt dans la bouche de Michael Jackson ou Kurt Kobain. Scrambled ? Hackz ! pousse à bout la logique du sampling : il dissèque les chansons en une multitude de micro-samples (esquivant ainsi les infractions de copyright) puis les reconstruit, reproduisant les phrases prononcées par l'utilisateur. «Ça devient un véritable instrument de musique, il n'y a plus de différence entre utiliser des samples et jouer de la guitare», explique l'auteur qui manipulera le logiciel en live à Confluences, le 26. Même engagement pour la musique libre chez le collectif ibérique Platoniq qui présente sa Burnstation, une station nomade qui permet de copier librement de la musique et de la graver gratuitement sur un CD. Burnstation propose uniquement des contenus légaux fournis par les Netlabels, un projet non commercial développé en open source qui fait «descendre la culture du Net dans la rue» (Libération du 10 février).

Nomades. Parmi les autres instruments à expérimenter, le Dimi H à l'Institut finlandais, du pionnier de l'art électronique Erkki Kurenniemi, qui permet de jouer de la musique en agitant un gant rouge dans l'espace. Cécile Babiole et Laurent Dailleau l'ont investi et détourné lors d'un concert inaugural, saturant l'espace de couleur rouge, créant une superbe tempête sonore. A Confluences, on pourra créer des boucles sonores sur le séquenceur Four Ophones (des combinés enregistreurs branchés directement sur un haut-parleur) ou manipuler les chambres à air du dispositif Télégum pour mixer en live les images d'un flux télévisuel. Quant à Flavien Théry et Bruno Hubert, ils explorent la nature de la lumière blanche, avec Potentiel et son mystérieux miroir noir qui révèle ce qu'on ne voit pas, une manière de réenchanter le réel.

L'alléchant programme de performances sonores et audiovisuelles bouscule lui aussi les formes établies, avec des artistes échappant à toute étiquette. Samedi, une soirée consacrée au label parisien touche-à-tout Active Suspension, où l'on pourra s'époumoner sur l'installation Motor Karaoke de MEC, un jeu de course de motos où c'est celui qui hurle le plus fort qui gagne, ou encore, le 27 , une soirée «musiques électroniques et réseaux» avec Carl Y & la boîte blanche, Discom, RyBN...